Les vrais pionniers de la plongée: les Bagnards!

Les scaphandriers à casque, plus familièrement nommes "pieds lourds" à cause des pesantes semelles de plomb qui garnissent leurs chaussures sont, on le sait, les prédécesseurs de la plongée autonome. Pas si "ancêtres" que cela, puisque le premier appareillage permettant de vraiment circuler sous les flots fait son apparition en 1839, inventé par Auguste Siebe, un Allemand émigré en Angleterre.

Le véritable inventeur du casque fut en réalité Edmund Halley, l'astronome britannique qui a donné son nom à cette drôle de comète qu'on ne revoit que tous les 78 ans. Après avoir mis au point une cloche de plongée, il imagina de coiffer les plongeurs d'un récipient de verre en fait une sorte de bocal posé sur les épaules et relié à la cloche par un tuyau armé. De la sorte, il était possible, non seulement de se déplacer, mais également de respirer en équipression. Ce système, néanmoins, obligeait son utilisateur à garder une position strictement verticale: s'il se penchait un tant soit peu, son réservoir d'air était envahi par l'eau...

Des cobayes humains...

Ce que l'on sait peu ou pas, à propos de ces temps héroïques, c'est que les premières incursions sous la surface à l'aide du nouveau type d'appareillage furent réalisés par des forçats à qui l'on avait promis des remises de peine s'ils se portaient volontaires pour de telles missions. A une époque où l'on plongeait dans l'inconnu, c'était une élégante manière de faire porter les risques par des individus qui n'avaient rien à perdre... Les dangers étaient en effet énormes et les problèmes apparurent dès les premières immersions profonde, car on ignorait parfaitement les réactions de l'organisme humain à la pression. Alors, on y allait par tâtonnements successifs... On peut lire dans un ouvrage (Le fond de la mer, par L. Sonrel, Hachette, Paris, 1860) précédant de peu les travaux de Paul Bert la manière dont se concevaient ces tâtonnements: "On ne peut passer rapidement d'une pression à une autre assez différente de la première. Mais le corps se fera par degrés à ces nouvelles conditions physiologiques si l'on descend d'abord à quelques mètres et qu'on s'habitue chaque jour à une profondeur plus grande. Malgré cet exercice préliminaire, on doit chaque fois descendre lentement: le retour doit être plus lent encore. Pour éviter tout inconvénient, on fera bien d'utiliser une minute environ par deux mètres d'ascension. Si l'on ne suit pas ces simples recommandations, on souffre beaucoup de bourdonnements d'oreilles et de maux de tête."

Ces "règles", à l'époque, s'appliquaient pour les scaphandriers descendant travailler par 60 mètres de fond!

Plongée dans l'inconnu.

17 février 1865. La veille, le voilier Columbian a coulé sur un fond de 65 mètres. Le bagnard Deschamps est volontaire pour y descendre. Un rapport officiel nous rapporte les péripéties de sa plongée: "Deschamps descend échelon après échelon sur une échelle de corde tendue sur le fond par une gueuse de 65 kilos. Il les compte de dix en dix (les échelons sont espacés de 35 cm, et c'est sa seule façon de connaître sa profondeur...). A chaque dizaine, il fait un temps de repos. Au cent-vingtième échelon, il sent une entrée d'eau dans sa jambe gauche mais continue néanmoins sa descente. Au cent soixantième échelon, soit 55 mètres, il fait une pause plus longue et constate que sa vision est trouble. C'est-à-peine s'il aperçoit sa lampe et les cordages de sa ligne de vie ainsi que son tuyau lui apparaissent "fins comme des fils de laiton ordinaire, l'un plus fin que l'autre". Il n'entend plus la soupape de son casque chanter comme d'habitude... Au cent-soixante-quatorzième échelon, l'échelle se termine et ne touche pas le sol. Mais il peut distinguer la gueuse posée sur le fond. Il se suspend au dernier barreau et se laisse tomber à terre, dans un sable très mou où il s'enfonce. Il attache avec peine sa corde de guide au dernier barreau. La pression est générale sur tout le corps, elle s'exerce sur sa vessie qui se vide malgré sa volonté. Il fait une vingtaine de pas mais a beau de mal à extraire les pieds du sable. Tout à coup, ses yeux s'obscurcissent, sa tête tourne..."

65 mètres sans palier!

Sèchement, le rapport administratif nous relate les angoissantes, péripéties de la remontée de Deschamps à la surface: Il revient instinctivement à l'échelle et demande à remonter, autant que ses forces, lui permettent. Il commence son ascension, se sent retenu par sa corde de guide qu'il coupe avec son poignard. Il remonte le plus rapidement qu'il le peut, mais n'a aucun souvenir de l'avoir fait. Il estime qu'il a perdu connaissance. Un choc violent le ramène à la réalité: il reconnaît le flanc du bateau contre lequel, son casque est venu buter. Il reprend son courage, parvient à sortir une main de l'eau et à l'agiter. Il se sent aspiré vers le fond. Son casque a remonté le collier de sa "peau de bouc" (la combinaison de forte toile caoutchoutée) lui bouche complètement la respiration... Voilà qu'on le tire par le bras et il s'accroche de son autre main à une corde qu'il sent près de lui. On le hisse dans un canot où il perd connaissance pour très peu de temps. Dès que son casque est enlevé on le remonte sur le pont. La main droite le fait beaucoup souffrir, l'air lui manque, il a froid aux extrémités. Son cou est très douloureux. Deux fois, il perd à peu près le sentiment et la respiration. Sa vue est trouble, tout tourne autour de lui, son regard est sans fixité..."

En 1865, déjà un détendeur.

Le rapport ne nous dit pas ce qu'il advint par la suite du scaphandrier-bagnard Deschamps. Son rédacteur conclut: "L'état du plongeur et celui des appareils font reconnaître qu'ils ne peuvent pas fonctionner avec régularité à une pression normale de six atmosphères et qu'il est imprudent a exposer la vie des hommes pour un travail suivi sous cette pression. Arrivé à des profondeurs supérieures à cinquante mètres, la pression extérieure produit sur les organes internes des effets physiologiques indépendants de la volonté".

L'anonyme auteur du rapport nous décrit le matériel utilisé par Deschamps pour cette plongée suicide, ce qui permet d'affirmer, qu'en cet an de grâce 1865, le principe du détendeur tel que nous le connaissons aujourd'hui était déjà d'application. Deschamps, en effet, était équipé d'un scaphandre du type Rouquayrol-Denayrouze doté d'un poumon artificiel au réservoir régulateur où s'emmagasine l'air envoyé par la pompe de surface et qui est restitué à la demande de l'utilisateur via une chambre à air et un tuyau de respiration terminé par un ferme-bouche fait d'une simple feuille de caoutchouc s'appliquant entre les lèvres et les dents du plongeur. En quelque sorte l'ancêtre de notre embout buccal! Suit la description du fonctionnement du "détendeur". Le plongeur aspire, c'est-à-dire qu'il prend à la chambre à air une partie de son contenu; aussitôt, la pression extérieure agit sur le plateau, le fait descendre, et avec lui la tige de la soupape qui s'ouvre. L'air du réservoir pénètre dans la chambre à air, rétablit l'équilibre entre l'intérieur de celle-ci et le milieu ambiant, fait remonter par suite le plateau. La soupape conique, revenant à sa conique, revenant à sa position primitive, intercepte de nouveau la communication entre le réservoir et la chambre à air, jusqu'à ce qu'une autre respiration ramène le même type de phénomène. Dès que le plongeur expire, une soupape sous le tuyau s'ouvre et laisse s'échapper dans l'eau l'air expulsé de la poitrine. Le plongeur reçoit exactement la quantité d'air nécessaire à sa respiration; cet air lui arrive à la pression à laquelle est soumise tout son corps, et cela sans exiger de lui la moindre attention ni le moindre effort...

Johnno le danseur sur fil.

Mais il n'y eut pas que les bagnards: la plongée professionnelle à casque peut s'enorgueillir d'avoir pendant près d'un siècle mis au point, petit à petit, la technologie de la plongée d'aujourd'hui, tout en assurant la majorité des grandes opérations subaquatiques: sauvetages d'équipages de submersibles, démantèlement d'épaves, récupérations de cargaisons coulées, construction et entretien des ports, jetées et assises des phares, tunnels, nettoyages des coques... Nous en passons, et des meilleures. Très vite, la corporation des "pieds lourds" connut ses spécialistes incontestés. Car, si l'ensemble de l'attirail est plutôt lourd (dans les environs de 80 kilos en surface), un spécialiste peut, malgré cette charge, réaliser toutes les fantaisies sous l'eau. Tel John Edward Johnstone, dit "Johnno" un des plus célèbres scaphandriers anglais des années 1920-1925 qui raconte dans ses souvenirs, rapportés par un journaliste:

"Entre la passerelle et le gaillard d'avant de l'épave, des cordages de chanvre avaient sans doute été tendus jadis et les madrépores s'y étaient substitués. A la grande joie de ses compagnons, Johnstone s'amusait à jouer au danseur de corde. C'était très simple en apparence. Il fermait la valve d'évacuation d'air, gonflait son scaphandre, plaçait la pointe d'un pied sur la ligne de corail et marchait avec l'autre pied. En le voyant, énorme, se promener ainsi en l'air, ses compagnons se tordaient de rire. Ils essayèrent. Alors Johnno rit à son tour car l'un et l'autre tombaient au bout de trois pas. Inutile de dire que cette chute n'avait rien de dangereux car eux aussi gonflaient leurs scaphandres et tombaient au ralenti, comme dans rêve..."

43 kilomètres à pied sous la mer!

C'était un vrai dingue du scaphandre lourd que ce Johnstone! Sur sa carte professionnelle (il était indépendant) on pouvait lire: En n'importe quel endroit, à n'importe quelle profondeur. En 1939, il fut chargé par les Postes australiennes de détecter les avaries survenues au câble téléphonique qui reliait la Tasmanie au continent australien via le détroit de Bass, large de 43 km et d'une profondeur moyenne de 36 mètres. Il fit tout le trajet à pied, attaché par son guiderope à une goélette qui continuait à tailler la route pendant qu'il progressait sur le fond alors que la mer était plus souvent démontée qu'à son tour! Il devait sans cesse jouer au ludion en fermant sa soupape d'évacuation, ce qui le faisait s'élever comme un ballon au dessus des rochers qu'il lui fallait à tout prix éviter. En compagnie de son jeune frère William, il arracha à la mer, à une profondeur de 146 mètres, 555 lingots d'or sur les 590 que transportait le Niagaran coulé sur une mine au large d'Auckland. Soit 94% du trésor appartenant à la Banque d'Angleterre, englouti le 18 juin 1940. Une épopée plus aventureuse encore que celle des Italiens Quaglia et Carli qui avaient récupéré pour un million de livres sterling d'or et d'argent dans les cales de l'Egypt, coulé au large d'Ouessant sur un fond de 132 mètres.

Les "mineurs de l'Océan".

Qui qu'il en soit, le "grand public", ne fut semble-t-il, jamais bien renseigné sur les heurs et malheurs des scaphandriers de jadis. Reprenons ci-dessous quelques lignes d'un article "scientifique" parues dans un hebdomadaire français à grand tirage, La Vie Populaire, intitulé: Les mineurs de l'Océan:

"Le casque de cuivre poli peut contenir une certaine provision d'air qui supplée en cas de besoin à l'air envoyé par la pompe. Sous le bras de l'homme passe une corde reliée à une sonnette placée sur le bateau. Elle sert en cas de danger à faire remonter le plongeur. Des semelles de plomb immobilisent le scaphandrier sur le pont; aussi doit-on le porter et le descendre sous l'eau. Ordinairement une cage en fil de fer le garantit contre les poissons dangereux. Les requins, surtout, sont très friands de scaphandriers. On en a récemment pêché un qui ne pouvait fermer la gueule et on a trouvé à l'entrée de son gosier un casque de plongeur, il avait dévoré le propriétaire, mais le casque n'avait pas pu passer! C'est toujours avec une réelle émotion que l'on voit ces marins intrépides descendre dans la mer où souvent la mort les guette (...) Un plongeur qui paraissait être un homme d'acier descendit jusqu'à quarante mètres. Après être demeuré vingt minutes sous l'eau, il sonna pour être remonté; mais à peine arrivé sur le pont du navire, il expira (...) De graves accidents peuvent survenir au cours de la descente des plongeurs. Au delà de 20 à 25 mètres, il leur arrive presque toujours, de perdre le sang par le nez et les oreilles. Ces exercices trop prolongés amènent rapidement des maladies de consomption et des troubles de coeur".

Ce tissu de calembredaines se poursuit sur plus de trois pages. Le reporter de "La Vie Populaire" (qui a pondu ce chef d'oeuvre en 1902) n'a certes entendu parler des "pieds lourds" qu'accoudé au bar d'un quelconque bistrot portuaire. Où, visiblement, les marins se sont fait un malin plaisir de lui en coudre sur la manche!

Christian Souris.

Magasine "Fun Plongé"

N°2 Novembre-Décembre 1996.

Retour index.

Les Congres

Les Suspendus

Canyoning

Ski

Plongée sous-marine

Spéléologie

Escalade